GÉOGRAPHIE URBAINE

GÉOGRAPHIE URBAINE
GÉOGRAPHIE URBAINE

Le monde dans lequel nous vivons est devenu un monde urbain. La population urbaine mondiale est passée de près de 47 millions vers 1700 (taux d’urbanisation 8 p. 100) à 75 millions vers 1800, et à 335 millions en 1910 (taux d’urbanisation 19 p. 100). En 1950, la population urbaine mondiale regroupait environ 724 millions d’individus (33 p. 100 de la population totale), en 1980, 1,806 milliard. Plus d’un humain sur deux se presse dans une ville et un septième de la population habite une agglomération urbaine millionnaire. C’est là l’une des mutations majeures de l’époque contemporaine.

En termes d’espace, le fait urbain reste cependant largement minoritaire: il concerne près de 15 p. 100 de la surface des continents, si l’on veut bien admettre que les villes ont encore des limites précises. On recensait, en 1990, près de 26 000 agglomérations de plus de 10 000 habitants dans le monde, un chiffre finalement modeste, montrant une urbanisation limitée des territoires. Près du quart de ces villes se trouvent en Asie du Sud, un cinquième en Chine et en Amérique latine, au total près de 55 p. 100 dans les pays dits en voie de développement.

La ville déborde très largement du cadre qui était le sien il y a moins de deux cents ans. «Le concept de base présidant à la définition de l’espace urbain est celui de l’agglomération, reposant sur la continuité du bâti.» (François Moriconi-Ébrard, L’Urbanisation du monde depuis 1950 ). L’O.N.U. définissait en 1978 les agglomérations comme un ensemble d’habitations tel qu’aucune ne soit séparée de la plus proche de plus de 200 mètres en Europe, 500 mètres dans les pays neufs où le système de peuplement est plus lâche. Mais «la réalité territoriale du fait urbain se brouille [...]. Avec le développement de l’automobile et des transports en commun, la population active des villes réside aujourd’hui loin des centres, dans un cadre de vie que l’on peut qualifier de rural, mais tout en participant à la vie urbaine.» (Yves Grafmeyer, Sociologie urbaine ). Au-delà des agglomérations, il convient de définir des régions urbaines, voire des régions de villes. Les populations suburbaines sont d’abord citadines.

La dimension sociale de l’urbanisation tend à imprégner, au-delà des seules populations urbaines, toute la société, dans ses conditions d’existence et ses mentalités. La géographie urbaine tend ainsi à envahir la presque totalité du champ disciplinaire. Le monde rural est considéré par la ville comme un espace interstitiel, cerné par les zones d’influence des aires métropolitaines. La société urbaine s’y est diffusée peu à peu. Par définition, la ville est un organisme ouvert, percé de toute part par des axes de communications qui la prolongent et projettent son rôle très loin de son centre.

La ville est à la fois territoire et population, nœud de relations et mode d’organisation collective. L’objet de la géographie urbaine est l’analyse des interfaces entre centralités spatiales, structures économiques et sociales, évolution démographique. La discipline observe ainsi la répartition du fait urbain dans le monde, l’évolution des taux d’urbanisation, la distribution des réseaux régionaux de villes, les caractéristiques de l’économie et de la société urbaines. Derrière la diversité typologique des manifestations du fait urbain, en particulier derrière les contrastes qui semblent opposer l’urbanisation galopante dans les pays mal développés et la stabilisation des taux d’urbanisation dans les pays d’économie avancée, se cache l’essence du fait urbain.

1. L’histoire du fait urbain

«La ville est née avec la route», affirmait l’historien Georges Duby. C’est dire qu’elle est un produit de l’échange qui accompagne la division du travail. Cette partition géographique de l’espace révèle une division technique et sociale de l’emploi. Elle apparaît avec la formation des classes sociales qui permet la mobilisation nécessaire du surplus agricole. La ville n’est pas le lieu du travail, mais celui de l’organisation sociale et spatiale du travail. Elle est le lieu du pouvoir économique. L’essence du fait urbain est l’organisation tertiaire de l’économie.

La ville ancienne, représentation d’un idéal politique et culturel

La révolution urbaine a commencé au Moyen-Orient. Les régions où sont apparues les premières villes et les premières agricultures se superposent dans les espaces correspondant actuellement à l’Iran, l’Irak, le Kurdistan, la Syrie, la Palestine. À l’origine de cette concentration exceptionnelle des hommes se trouve un abaissement des coûts des transports pour les denrées alimentaires, une maîtrise des techniques de stockage et de conservation. Les villes sont nées d’abord dans des régions fertiles, généralement à l’aval des bassins fluviaux qui permettaient irrigation et circulation. Elles sont nées dans des régions chaudes, car ailleurs la masse des combustibles nécessaires pour chauffer les villes retardait l’urbanisation.

Né du commerce, le phénomène urbain est lié à l’écriture, d’abord cunéiforme, outil indispensable pour marquer les jarres, par exemple, et pour tenir la comptabilité des réserves. Les techniques d’information et de communication participent donc à l’origine du fait urbain. L’essence de la ville est culturelle.

La ville présente également des fondements politiques et religieux, car elle implique une stabilité de l’organisation collective apportée par le contrôle du clergé. Les premières villes sumériennes (— 3000) sont des cités-États dominées par l’administration des temples, qui possédaient la terre et dirigeaient l’artisanat et le négoce. Ur (— 2800) aurait compté 24 000 habitants sur 40 hectares, mais le territoire commandé rassemblait quelque 500 000 personnes, soit un rapport de 21 à 1 entre population rurale et population urbaine, indiquant un taux d’urbanisation de 5 p. 100. Les temples, qui possédaient la terre et contrôlaient négoce et artisanat, jouaient ici un rôle très important. La densité moyenne dans la plupart des villes sumériennes (300 habitants par hectare) implique une forte proportion de population active non agricole, un niveau élevé de spécialisation, une organisation socio-économique élaborée, un habitat urbain en hauteur et une mentalité spécifiquement urbaine.

La fonction commerciale du fait urbain l’emporte évidemment dans les villes phéniciennes. Byblos (l’actuelle Djebaïl) commerce avec la Mésopotamie, l’Égypte et Chypre, le Soudan et le Caucase, dès le IIIe millénaire avant l’ère chrétienne. Les marchands gouvernent la ville, comme à Sidon (Saïda) ou Tyr (Sow).

Le projet politique et culturel domine dans la civilisation d’Athènes ou de Rome. La cité idéale de Platon comptait 5 040 citoyens, soit environ 20 000 habitants, taille volontairement restreinte pour que la démocratie locale soit possible. En Grèce, où le sol était pauvre, la productivité agricole faible, les transports difficiles, et donc la croissance urbaine coûteuse, la population urbaine regroupait 15 p. 100 des habitants. Dès qu’une ville approchait 20 000 personnes, une nouvelle unité était fondée plus loin.

Les débuts de l’urbanisation en Asie concernent la région du Pendjab, au nord-est du Pakistan (civilisation Harappa — 2100/— 1750). On dénombrait 4 ou 5 villes de plus de 100 000 habitants en Chine, au Ve siècle avant l’ère chrétienne. L’urbanisation du Japon s’avère plus tardive. Les première villes apparaissent vers 650/700. Ky 拏to, capitale entre 794 et 1868, comptait plus de 100 000 habitants au IXe siècle. En Indochine, Angkor avait peut être 150 000 habitants vers 1200-1300.

En Afrique, la première urbanisation concerne les zones commerçantes marquées par l’influence musulmane: le royaume du Ghana, pays de l’or, renommé jusqu’à Bagdad, et l’actuel Soudan, autre zone productrice de métaux précieux. Djenné, dans l’empire Songhaï, était un centre religieux, éducatif et commercial au XIe siècle. Les villes minières du Zimbabwe, dont les ruines ont été découvertes en 1868, vendaient de l’or et de l’ivoire jusqu’en Inde et en Perse. Agadès, Gao, Kano, Tombouctou, villes de l’Islam, placées à la limite méridionale du transport par chameau, à la limite nord de l’extension de la mouche tsé-tsé, avaient près de 40 000 habitants au XVIe siècle.

Les villes de l’Amérique pré-colombienne étaient plus grandes que celles de l’Europe à la même époque. Tenochtitlan, capitale de l’Empire aztèque, fondée en 1345, abritait près de 80 000 habitants vers 1519, date de l’arrivée des Européens, quand Grenade et Lisbonne, les deux plus grandes villes de la péninsule Ibérique comptaient 70 000 habitants. La civilisation urbaine s’avère là antérieure à l’écriture.

La ville antique représentait un ordre cosmique. Le bâtisseur se voulait l’interprète des phénomènes célestes en exprimant sur Terre un ordre social. Artisans, guerriers et agriculteurs composaient trois quartiers dans la cité aristotélicienne, dont le centre, l’agora, était le lieu de communion de tous les hommes. La cité du Moyen Âge représentait aussi une tentative d’intégration sociale, ici dans un ensemble fortifié, d’une communauté libre et solidaire. La paroisse, dans chaque quartier, favorisait la décentralisation des institutions essentielles de la vie collective. La cité idéale dédiée à Francesco Sforza par Filarete, dans son Traité d’architecture (1460-1464), reprenait à Vitruve (De architectura ) un plan circulaire, ordonné autour d’une place circulaire, pour représenter un ordre mathématique. Les forteresses de Vauban se fondaient sur un souci géométrique analogue avec deux carrés emboîtés pour former une enceinte à huit pointes. La ville ronde était aussi une tradition orientale que l’on retrouvait à Bagdad, capitale politique des califes abbassides, fondée par Al-Mansur.

Cosmique, mathématique, militaire, religieuse, la cité idéale exprimait presque partout d’abord un ordre politique et une intégration sociale. Jusqu’au XVIe siècle, elle restait un espace clos où les rares places étaient conçues comme la cour d’un château fort, cela même dans les bastides et villes franches ou villes neuves: à Charleville (la ville de Charles de Gonzague) ou à Richelieu, et jusqu’à Paris où la place des Vosges (1605-1612), est visuellement fermée malgré un système de rues rayonnantes.

La perspective ouverte sur la nature par la Renaissance s’est matérialisée tardivement en architecture, dans la Rome de Sixte Quint d’abord (1585-1590), où la place Saint-Pierre a intégré la ville monumentale au paysage par un jeu de terrasses, d’escaliers et de colonnades. La ville s’ouvrait sur l’horizon pour répondre à une philosophie de l’infini mathématique. Le siècle classique et l’art royal français ont inauguré les avenues-jardins, où des allées plantées pour la promenade prolongeaient des parcs, entre Versailles et Paris. Le XVIIIe siècle a multiplié les places royales, ouvertes et symétriques. Avec le même sens de l’espace, la même sensibilité exprimée dans le traitement des axes et des enfilades de places paysagères, l’architecture impériale achevait les perspectives triomphales dans la capitale. Elle traduisait, par une fastueuse dépense d’espace, en plein centre, la force d’un art politique, consacré aux princes et aux victoires de leurs armées.

La ville moderne, expression fonctionnelle d’une réalité marchande

«Les créations urbaines les plus éminentes, les œuvres les plus belles de la vie urbaine (“belles” comme on dit, parce qu’œuvres plutôt que produits) datent des époques antérieures à l’industrialisation...» (Henri Lefebvre, Le Droit à la ville ). La ville fonctionnelle du XIXe et du XXe siècle devient valeur d’échange, au service de l’argent, du commerce et de la production industrielle. Elle cesse d’être œuvre, c’est-à-dire qu’elle n’est plus culturelle, politique, idéologique et superstructurelle et perd ainsi son essence pour servir seulement les rapports marchands. Urbanisation et industrialisation sont désormais indissociables. La ville est réserve de main-d’œuvre et sert à la reproduction de la force de travail, ainsi connaît-elle une croissance et une concentration démographiques formidables, qui favorisent les plus grandes agglomérations. Londres atteint et dépasse 3 millions d’habitants en 1860, 7 millions en 1910. En 1913, on compte de par le monde 8 villes de plus de 2 millions d’habitants (Berlin, Chicago, Londres, New York, Paris, Saint-Pétersbourg, T 拏ky 拏, Vienne). Le nombre des villes de plus de 100 000 habitants passe de 24 en 1800 à 58 en 1850, à 195 en 1900, à 300 en 1914 et à 875 en 1950. Entre 1850 et 1900, ce sont les villes de plus de 500 000 habitants qui connaissent la croissance la plus rapide de leur population; de 1900 à 1950, ce sont les villes de plus de 1 million d’habitants.

L’urbanisation sert et accompagne l’éclosion de nouvelles possibilités techniques de construction: le fer et l’acier, le verre, l’armature métallique, l’ascenseur à vapeur (1853) ou hydraulique (1867), l’électricité, le béton armé (1892) marquent l’influence déterminante des ingénieurs dans l’architecture d’affaires, aux dépens des hommes de l’art, restés trop académiques. On voit apparaître des édifices qui n’ont pas de modèles dans le passé, dont les formes et l’existence sont tributaires de nouvelles conditions économiques créées par les grandes villes, la circulation, l’industrie, le commerce: halles, gares, grands magasins, pavillons d’exposition, usines, immeubles de bureaux, gratte-ciel. Le déplacement du centre de gravité de l’économie et de l’urbanisation vers les États-Unis fixe à Chicago, puis à New York, les formes nouvelles d’une architecture liée à la concentration du capital et au développement des fonctions tertiaires, adaptée aux besoins des compagnies d’assurances, des banques, des sociétés commerciales.

Ainsi, depuis 1800, la croissance urbaine est continue, et les banlieues s’étendent comme des espaces sous-systèmes nourris par ce que la ville-centre rejette hors de ses limites et par la dérive extensive d’une consommation toujours accrue du sol par les habitants et par les infrastructures. Les frontières du domaine bâti reculent toujours, depuis l’introduction des techniques modernes dans les transports urbains, tramway et chemin de fer dès 1870, autobus à partir de 1920, voitures particulières enfin.

2. La répartition actuelle des villes dans le monde

La population urbaine

En additionnant le nombre d’habitants vivant dans toutes les agglomérations égales ou supérieures à 10 000 habitants, François Moriconi-Ébrard a pu mesurer les déséquilibres de la répartition de la population urbaine à la surface du globe. En 1990, plus de 2,27 milliards de personnes étaient ainsi recensées (base de données Géopolis). Les pays d’économie avancée ne représentaient plus que 40 p. 100 de cette réalité, contre 64 p. 100 en 1950. La majorité de la population urbaine se trouve donc, depuis 1973, dans des pays mal développés, et l’écart ne cesse depuis de se creuser. Les taux moyens annuels de croissance de la population urbaine dépassent dans le Tiers Monde 4 p. 100 au début des années 1990 (4,5 p. 100 en Afrique), c’est-à-dire deux fois les taux enregistrés en Europe occidentale dans la seconde moitié du XIXe siècle, en pleine phase d’industrialisation et de croissance démographique.

Dans ces pays dépendants, la croissance massive de la population urbaine exprime d’abord une situation sociale: l’importance débordante des populations non intégrées, vivant dans des campements ou des formes d’habitats élémentaires donne au gigantisme urbain un caractère pathologique particulièrement explosif. On parle de mégapoles pour nommer l’hypertrophie caractéristique des plus grandes villes dans les pays pauvres. On a pu opposer les métropoles qui organisent leur territoire aux mégapoles qui s’en nourrissent, de façon boulimique. Selon les estimations, parmi les vingt-cinq plus grandes villes du monde, dix-neuf se trouveront dans le Sud en l’an 2000. «En l’état actuel du potentiel démographique, Inde, Chine et Nigeria sont encore sous-représentés dans la population urbaine du monde: avec 39 p. 100 de la population mondiale, ils ne représentent encore que 24 p. 100 de la population urbaine mondiale» (Moriconi-Ébrard). L’auteur propose d’expliquer la diversité observée des taux d’urbanisation par les décalages chronologiques dans le démarrage de l’urbanisation, par les vitesses différentes de la transition urbaine: stagnation posturbaine dans les pays d’économie avancée, croissance ralentie ailleurs, progression accélérée (par exemple en Afrique noire), phase préurbaine (au Bhoutan, dans certaines régions du Vietnam ou de Chine). La désorganisation des circuits de distribution, le non-versement des salaires des fonctionnaires dans certains pays troublés d’Afrique noire (Congo en 1993-1995, Zaïre en 1996-1997, par exemple) peuvent se traduire par un retour provisoire des citadins au village où les cultures vivrières permettent de survivre.

Le taux d’urbanisation

Les taux d’urbanisation ont une autre signification que les masses urbanisées, car ils restent avant tout fortement liés à l’évolution du niveau de développement économique des pays. Tous les pays industrialisés ont ainsi un taux supérieur à la moyenne mondiale. La valeur moyenne du P.I.B. par habitant paraît également déterminante, de même que l’importance des échanges extérieurs (valeur du commerce extérieur par habitant). Le taux d’urbanisation et, en particulier, la proportion des gens qui habitent dans les grandes villes tiennent beaucoup à l’importance des fonctions d’«extraversion» économique. Le fait urbain exprime un trait avant tout exogène: l’importance des relations internationales dans les économies. Ainsi, parmi les pays arabes, les producteurs de pétrole présentent les taux d’urbanisation les plus forts, supérieurs à 70 p. 100. La Grande-Bretagne, les Pays-Bas, le Japon, l’Allemagne présentent à la fois un commerce extérieur important et un fort développement du fait urbain. Sur les 298 agglomérations de plus de 1 million d’habitants en 1990, 106 sont situées près d’un littoral maritime, 81 près d’une voie d’eau navigable à grand gabarit; au total, plus des deux tiers des grandes villes se sont développées en fonction de conditions naturelles favorables aux relations lointaines (Moriconi-Ébrard). On peut dire aussi que les progrès accomplis par les moyens de transports depuis deux siècles rendent compte de l’augmentation considérable de la taille des plus grandes villes. Pendant des millénaires, la situation de la plus grande ville du monde ne fit que refléter celle du système politique le mieux organisé et du pays le plus peuplé. Depuis 1800, elle révèle l’efficacité du système de production et d’échanges.

Les densités urbaines

Le cadre des États pour calculer les taux d’urbanisation n’est pas parfait. Les pays sont évidemment très différents les uns des autres, par leur taille géographique ou démographique. Une approche intéressante est apportée par la notion de densité: par exemple, le nombre de villes de plus de 100 000 habitants pour 10 000 km2. On compte ainsi une grande ville pour 10 000 km2 en Europe occidentale continentale, trois grandes villes en Grande-Bretagne. À ce titre, l’Inde paraît douze fois moins urbanisée que la Grande-Bretagne, et les États-Unis vingt-quatre fois moins. La distance moyenne entre les villes de même taille varie beaucoup, en fait, d’une région à l’autre du globe. C’est en Europe que la distance moyenne entre deux villes est la plus courte: moins de 11 kilomètres en Grande-Bretagne, dans les pays du Benelux, en Allemagne, au Danemark, en Italie. On retrouve les mêmes données pour le Japon et en Corée du Sud. La distance entre les villes reste inférieure à 22 kilomètres en Inde, au Proche-Orient, au Nigeria. On observe une homogénéisation progressive du semis urbain à travers le monde, dans la mesure où le phénomène urbain se densifie depuis 1950 dans les régions où les villes étaient le plus espacées (Afrique centrale et orientale); au contraire, le nombre des villes stagne dans les régions les mieux pourvues à cet égard (essentiellement dans les pays développés, au Japon et dans les pays de l’Union européenne. Notons que hormis au Groenland et sur le continent antarctique, on trouve désormais des agglomérations de plus de 10 000 habitants dans les zones les plus reculées et les milieux les plus hostiles, dans les régions les moins peuplées: Sibérie, Territoires du Nord-Ouest et Yukon canadien, provinces sahariennes. Le fait traduit une intégration de tous les territoires dans les circuits économiques modernes, nationaux et internationaux et la réduction comme peau de chagrin des régions vivant encore dans une certaine autarcie. «La ville s’est inexorablement rapprochée de l’homme. En se multipliant, elle a conquis des régions où l’on devait parcourir, voici seulement une ou deux générations, plusieurs milliers de kilomètres pour la trouver» (Moriconi-Ébrard).

L’armature urbaine

Les géographes ont tôt montré que le semis des villes n’était pas dû au hasard. Les unités urbaines partagent l’espace de façon organisée, pour répondre au bon fonctionnement des mécanismes d’échanges. Walter Christaller a montré en 1933 (les Places centrales dans le sud de l’Allemagne) que la taille, le nombre et la distribution des villes s’expliquent par la fourniture de biens et services centraux aux régions voisines. Des formulations mathématiques ont été apportées par G. K. Zipf ou M. Beckmann, qui ont déterminé ainsi le rapport entre la population d’une ville, la place de cette dernière dans la hiérarchie, et par Reilly, qui a lié la distance séparant deux villes à l’importance de leur population. L’étude de l’armature urbaine d’une région ou d’un pays – c’est-à-dire la recherche des niveaux de service des villes et des territoires sur lesquels elles exercent leur influence – a orienté ainsi de nombreuses thèses de géographie entre 1955 et 1970. On a parlé des réseaux urbains comme «d’un système de centres hiérarchisés se relayant les uns les autres afin d’assurer le bon fonctionnement des mécanismes d’échanges [...]. Qu’est-ce en effet qu’une ville, sinon la rencontre dans un espace limité de flux économiques intéressant des régions entières?» (Raymond Dugrand, Villes et campagnes en Bas-Languedoc ). Ces travaux qui montraient le rôle essentiel des villes dans l’organisation de l’espace ont nourri les réflexions sur l’aménagement du territoire, les notions de région polarisée et de métropole régionale. Cette dernière est apparue ainsi comme une ville présentant un équipement complet de services sophistiqués et offrant une zone d’influence plus importante que les autres villes.

Les études plus récentes sur les formes de distribution des villes inscrivent les réseaux dans une notion théorique et générale de système urbain, pour remarquer que la région ne peut résumer l’organisation économique des échanges et que les relations ne s’arrêtent plus aux frontières. «De nos jours, les organismes internationaux, les grandes banques, les Bourses de commerce ou de valeurs rayonnent sur plusieurs pays. Les villes qui les abritent participent à des faisceaux de communication indifférents aux limites nationales» (Paul Claval, La Logique des villes ). Les limites territoriales d’un système urbain connaissent également des changements rapides pour tenir compte des ruptures géopolitiques (l’unification allemande, par exemple), des accords internationaux (par exemple l’unification des monnaies européennes) et des évolutions technologiques (les nouvelles technologies de l’information et de la communication). «Les systèmes de villes sont par nature des systèmes ouverts» (Denise Pumain, «Les systèmes de villes», in Encyclopédie de géographie ). Les villes sont impliquées dans un système de relations de portées spatiales inégales (régionales, nationales, multinationales). Dans un contexte de mondialisation des échanges d’informations, de capitaux et de biens, les systèmes urbains s’avèrent de plus en plus interdépendants.

Le terme «métropoles mondiales» rend compte de la structure unitaire du fonctionnement spatial de l’économie mondiale, de la force des interrelations commandées à partir de quelques points centraux d’impulsion, villes et pays, qui travaillent à l’échelle de la planète et régulent la dynamique des marchés pour les autres territoires. «Les trois villes globales – New York, T 拏ky 拏, Londres – fonctionnent en trinôme et sont moins rivales que complémentaires. Chacune a un rôle distinct: T 拏ky 拏 exporte les capitaux, Londres les fait jouer grâce à ses banques transnationales, tandis que New York les absorbe à des fins d’investissement, d’innovations et de maximisation des profits» (Saskia Sassen, The Global City ). New York, T 拏ky 拏, Londres et Paris s’inscrivent aujourd’hui dans des réseaux relationnels intercontinentaux, à l’échelle de la planète. Ainsi, la triade que forment les trois pôles développés de l’économie mondiale dont les piliers sont les États-Unis, le Japon et l’Union européenne et dont l’espace s’étend respectivement sur l’Amérique du Nord, l’Australasie et toute l’Europe exprime sa puissance d’organisation par le même système territorial.

Les grandes métropoles mondiales sont les sièges des gouvernements des grandes puissances; elles fixent les sièges sociaux des grandes entreprises. Capitales politiques, économiques et intellectuelles du monde, ces villes globales font l’histoire, mais en dépendent aussi, car l’évolution des économies-mondes trahit la succession des dominations.

Les deux plus grandes agglomérations du monde, T 拏ky 拏, la plus peuplée (28,7 millions d’habitants en 1990 sur une superficie de 6 091 km2), et New York, la plus étendue (23,9 millions d’habitants en 1990, 15 375 km2 urbanisés en continuité en 1990, 32 791 km2 pour toute la région), relèvent des deux plus grandes puissances industrielles et financières de la planète. Ces sommets actuels du monde sont aussi les centres des deux principales mégalopoles (Jean Gottmann, Megalopolis ), vastes complexes métropolitains polynucléaires, ensembles d’agglomérations proches entretenant entre elles des liens fonctionnels étroits. Roger Brunet a mis en évidence une autre mégalopole mondiale majeure (la «banane bleue»), parallèle au principal axe de relations de l’Europe, de la Lombardie à l’Angleterre.

Les études géographiques ne permettent pas de valider l’hypothèse parfois avancée d’une désurbanisation. L’apparent déclin démographique des grandes villes dans les pays d’économie globale est compensé par une exurbanisation sur les campagnes environnantes, et donc par une large extension des zones bâties.

L’émergence de mégapoles (très grandes agglomérations plurimillionnaires) dans les pays mal développés et dépendants est un des faits majeurs de la période contemporaine. Mexico, São Paulo, Calcutta, Bombay (Mumbai), Séoul, modestes agglomérations il y a encore moins d’un siècle, ont connu une croissance particulièrement rapide et atteignent désormais une taille exceptionnelle: Séoul, par exemple, comptait 280 000 habitants en 1905, 440 000 en 1936, 935 000 en 1940, 2,8 millions en 1960, 5,5 millions en 1970, 10 millions au début des années 1990 pour 627 km2, et en comptera près de 14 millions en l’an 2000. La population de Bombay passe de 710 000 habitants en 1875 à 17 millions vers 2000; dans le même temps, celle de Calcutta passe de 680 000 à 17,7 millions. Les spécialistes observent la présence de plus en plus nombreuse de villes asiatiques parmi les grandes villes du monde, ce qu’ils interprètent comme un déplacement progressif des unités de production vers les principaux bassins de main-d’œuvre et vers les marchés prometteurs. «Il est probable qu’après T 拏ky 拏 succédera au premier rang mondial une grande conurbation asiatique de plusieurs dizaines de millions d’habitants: Shanghai, Bombay, Calcutta ou Hong Kong-Guanzhou» (Moriconi-Ébrard).

Il est utile de nuancer, après Milton Santos, l’opposition faite trop souvent entre urbanisation et développement, pour le Tiers Monde. La croissance urbaine ne peut pas être indifférente aux indicateurs économiques. Un courant écologique a voulu mettre en évidence l’existence de déséconomies d’échelle dans les mégapoles, dont les effets négatifs seraient particulièrement dramatiques dans les sociétés les plus pauvres. Il est vrai que la grande ville peut faire peur. Une connotation morale négative lui a été attachée par le courant de pensée tiers-mondiste. Il reste que les systèmes urbains correspondent, en première instance, aux performances des systèmes productifs.

3. L’économie et la société urbaines

La métropolisation de l’économie accompagne l’internationalisation des échanges. Le volume du commerce mondial a été multiplié par plus de 400 entre 1780 et 1980, quand celui de la population croissait moins de trente fois. La part de la production nationale qui doit s’intégrer dans les échanges internationaux s’est donc considérablement accrue. Le phénomène a pris une ampleur particulière depuis 1945, avec une évolution institutionnelle dominante favorable à une libéralisation progressive de l’économie et une réduction sensible des coûts des transactions mondiales. La valeur des échanges de services progresse plus vite encore que celle des échanges matériels. Le fait concerne en particulier le mouvement des capitaux, qui implique désormais des volumes considérables, sans rapport avec la balance commerciale, et les échanges d’informations, sous toutes les formes (images, sons, textes, signes) et sur tous les supports (téléphone, télévision, informatique...) Ces échanges de services sont organisés à partir des grandes métropoles mondiales, qui apparaissent comme les lieux de représentation et de démonstration de l’économie-monde.

Elles gèrent à l’échelle de la planète à la fois les échanges commerciaux, les mouvements monétaires, les flux d’informations et de services, les déplacements des hommes, ainsi que toutes les interactions entre ces réseaux.

Les niveaux supérieurs de l’armature urbaine s’organisent en trois étages: les métropoles mondiales, les capitales nationales, les métropoles régionales. Le premier est celui des entreprises multinationales dont le marché des produits ou des services est mondial, dont les capitaux sont apatrides, dont les états-majors, élites très mobiles (entre tous les aéroports, les hôtels, les quartiers d’affaires, les complexes de bureaux, les centres de congrès, les espaces technopolitains, les parcs de loisirs), proviennent indifféremment de plusieurs pays et ont suivi des formations universelles. Le deuxième, celui des capitales politiques, correspond aux États, à leurs organisations administratives, à la plupart des institutions professionnelles et syndicales encore maillées sur les espaces nationaux. Enfin, l’espace quotidien des entreprises moyennes et des populations correspond aux métropoles régionales.

«Une ville est d’abord un lieu de production. C’est pour produire plus et mieux que les hommes et les entreprises se rassemblent dans des agglomérations» (Rémy Prud’homme, «Mégavilles: économie et gestion», in Thierry Paquot Le Monde des villes ). Des économistes ont ainsi cherché à mesurer la production des principales agglomérations urbaines. T 拏ky 拏 apparaît à la fois comme la plus grosse agglomération du monde et comme la plus productive: son P.I.B. (854,4 milliards de dollars en 1990) est comparable à celui du Royaume-Uni. New York suit loin derrière, avec Los Angeles, Osaka, Paris et Londres, Chicago enfin. Les villes qui viennent ensuite sont deux à trois fois moins importantes. Il s’agit de métropoles européennes: Düsseldof-Wuppertal (P.I.B. de 107,8 milliards de dollars en 1990); Milan (82,2), Madrid (63,9), Rome (56), Barcelone (51,6), et de mégapoles du Tiers Monde ou de nouveaux pays industriels, telles Séoul (92,9), Mexico (79,2), São Paulo (69,7), Hong Kong (59,7), Bangkok (42,1), Rio de Janeiro (40), Singapour (34,6)... Il est intéressant de noter que le rattachement de Hong Kong à la Chine apporte à celle-ci une élévation de plus de 16 p. 100 de son P.I.B. De nombreuses villes pèsent économiquement plus que certains pays. La production de la seule Séoul, par exemple, est comparable à celle de toute la Turquie, et celle de São Paulo dépasse la production de l’ensemble de la Pologne...

La production par habitant des grandes métropoles est partout supérieure à la production par habitant de leur pays. Par exemple, Bangkok, où résident 10 p. 100 de la population de la Thaïlande, fournit 80 p. 100 du P.I.B. national. On sait que l’Île-de-France représente (d’après les chiffres du recensement de 1990), sur 2,2 p. 100 du territoire national et pour 18,8 p. 100 de la population totale ou 22 p. 100 de la population active ayant un emploi, 25,9 p. 100 du revenu total des ménages et 27,1 p. 100 de la valeur ajoutée nationale. Cela tient en partie au fait que l’Île-de-France rassemble 59,3 p. 100 des chercheurs, 38,3 p. 100 des cadres et professions intellectuelles supérieures, 29,5 p. 100 des effectifs universitaires totaux. On peut comprendre que la productivité d’une ville augmente avec le nombre des emplois de haut niveau qu’elle abrite. Ceux-ci sont largement liés aux services et à la localisation des sièges sociaux des grandes entreprises.

Les villes induisent toutes sortes d’externalités, croissantes avec la taille de la ville. Positives, celles-ci profitent surtout aux entreprises (marché de l’emploi, des capitaux et des services, source d’informations, d’innovations); négatives, liées aux déséconomies d’échelle, elles sont généralement supportées par la population et les pouvoirs publics (insécurité, chômage, grande pauvreté, pression foncière et spéculation immobilière). La politique urbaine peut être ainsi définie comme la gestion des externalités: «... elle consiste à réduire les externalités négatives (encombrement, pollution) et à augmenter les externalités positives (surproductivité)» (Rémy Prud’homme).

La ville, lieu d’échanges et de rencontres, fonctionne à l’envers lorsqu’elle amplifie l’exclusion sociale et ethnique. La prostitution, la drogue, l’alcoolisme, la violence accompagnent la pauvreté, le chômage, le relâchement des liens familiaux, la dissolution des rapports sociaux. Ce sont les fléaux de notre civilisation urbaine que l’ampleur démographique de la grande ville fait ressortir de manière plus marquée. Emploi, logement, transports, santé, éducation nécessitent donc l’engagement de l’État aux côtés des associations et des acteurs locaux d’une nouvelle politique urbaine.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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